Numa sessão de homenagem ao Professor Alfredo Margarido, realizada em Paris, Daniel Lacerda fez a leitura deste texto de sua autoria
Daniel Lacerda
Nous avons du mal à parler d’Alfredo Margarido au passé, car c’est au cours des derniers mois de sa vie, alors qu’il suivait un traitement à Paris, en 2008-2009, que nous avons entretenu un contact personnel plus intense. Il est aussi venu plusieurs fois au siège de la revue, chez Manuel dos Santos Jorge, et en groupe nous y avons passé des après-midi entières à échanger des informations pertinentes, où sa vivacité d’esprit et son irremplaçable vision personnelle ne manquaient pas de rejaillir.
Avec sa disparition, nous avons ainsi perdu, plus qu’un guide intellectuel, un compagnon affectueux, plein d’idées et de volonté.
I
Alfredo Margarido a été un des intellectuels qui ont œuvré à la création de Latitudes en 1996-97. Bien que résidant alors à Lisbonne, il a été mis au courant du projet et l’a soutenu, car il a toujours eu un intérêt intrinsèque pour la lutte des idées, par le pouvoir de la parole écrite. Il lui attribuait un rôle démystificateur de l’engrenage social et de ceux qui en profitent. Nos sujets de conversation ont porté dès le début, presque uniquement, sur des projets de publication, les articles écrits et à écrire, les livres publiés et à publier. Durant l’élaboration du projet, ses conseils et ses indications se sont avérées précieux. Nous avons retenu parmi d’autres celle portant sur la réalisation des numéros thématiques, qui a été suivi continuellement avec succès.
Il avait une grande expérience de l’écriture destinée aux revues et aux journaux et des contraintes de l’édition, comme nous l’avons signalé dans un article du nº 24 de Latitudes qui lui est consacré. Dès que la liberté d’expression a été rétablie au Portugal, avec la Révolution des Œillets, il se battait à coeur joie publiant des articles dans les journaux dénonçant les vices des politiciens et les détournements de la démocratie. Au cours du gouvernement de l’alliance de droite (PSD-CDS), au début de ce siècle, sa vigoureuse chronique hebdomadaire dans le Jornal do Fundão et, après, dans les hebdomadaires O Ribatejo et O Semanário, n’était pas sans rappeler les grands polémistes portugais d’avant la dictature, par l’intensité de son démontage des ruses du libéralisme économique et des aléas de l’opportunisme politique.
Mais Latitudes s’insérait dans le contexte des lusophones expatriés, situation que Alfredo Margarido avait connu durant plus de trois décennies. Il avait souffert de la prison et de la persécution sous le régime dictatorial et colonialiste de Salazar, et, étant parti en exil, l’avait combattu dans une posture radicale, comme d’autres membres de la rédaction de Latitudes. En 1997, l’objectif était autre, ce qui a été bien compris, étant donné l’orientation culturelle, artistique et social de la revue. Ses recherches dans le domaine littéraire, surtout en poésie, et en anthropologie et en histoire concernant les pays de langue portugaise, en particulier les cultures africaines et brésilienne, étaient irriguées en quelque sorte par la même matrice et avant tout par un désir profond d’aller contre les idées reçues. Le dynamisme provenant du marxisme est accentué chez Alfredo Margarido par un positionnement original qui est la marque de son hétérodoxie. Ses analyses littéraires, par exemple, peuvent aller jusqu’aux motivations traumatiques des auteurs, comme dans le cas de la poésie érotico-masochiste de Cesário Verde et de Camilo Pessanha, mais elles ne restent pas emboîtées dans le littéraire pur. La dimension sociale et l’éclairage d’une signification au sein du débat des idées lui semblent indispensables. Ses interrelations dotent ses textes d’une richesse d’allusions qui, les reliant au processus social, font apparaître avec une autre force les racines de leurs manifestations esthétiques. On pouvait voir ici l’empreinte laissée par son maître Pierre Francastel, à l’EHESS, dont il aimait évoquer l’ambiance des séminaires.
II
Alfredo Margarido a été aussi un des membres du Comité de la rédaction parmi les plus présents textuellement et des plus réactifs. Il a maintenu une collaboration constante par ses articles thématiques et ses comptes-rendus. À chaque parution, il nous adressait une lettre détaillée avec ses considérations, souvent débattues au sein du Comité de rédaction. Il nous stimulait nous poussant à être exigeants dans la qualité thématique et littéraire des contributions retenues, sans oublier des remarques plus personnelles. Celles-ci se rapportaient, le plus souvent, aux cultures africaines lusophones, qu’il connaissait profondément, comme cela vient d’être mis en lumière ici par notre camarade et ami Luiz Silva. En donnant dans ce domaine, prioritairement, la parole aux africains concernés, par rapport aux écrivains et essayistes occidentaux, considérant que ceux-ci avaient prédominé pendant des siècles, nous avions pris - à Latitudes – plus qu’une précaution, un choix de justice. Et ainsi nous pouvions être plus libéraux sur des sujets qui ne dépassaient pas le niveau informatif.
Alfredo Margarido nous disait fréquemment qu’il était un « lecteur compulsif », lisant tout ou presque, car il rejetait les livres qui n’atteignaient pas le niveau de la qualité littéraire. Ajoutons qu’il était également un écrivant du même ordre, compulsif, bien qu’exigeant envers lui-même, retravaillant fréquemment ses textes. Il déposait un espoir sans nom dans l’écriture. Étant donné ses divers compromis, parfois il était surpris par notre régularité de parution, qui obéissait à nos propres engagements, raison pour laquelle quelques uns de ses articles ont paru décalés de la thématique respective.
Au-delà de l’explication factuelle, nous sommes convaincus qu’un autre motif, ayant trait à sa personnalité, se cache derrière cela : encore son caractère rebelle et volontaire. Cette mésentente, purement chronologique, nous a valu d’être accusés de garder ses articles dans le tiroir et d’autres élégantes remarques qu’il appréciait nous adresser ne serait ce que pour saler nos entretiens qui n’étaient jamais mornes, et, par contre, toujours respectueux et amicaux.
Les polémiques engagées dans la revue – dont il a été le champion – naissaient de son exigence de rigueur et du désir d’aller plus loin. Car il a toujours accepté les répliques de façon cordiale, sans rancune, semblant chercher plutôt à provoquer ainsi une plus vigoureuse forme d´échange.
Rares sont les numéros de Latitudes qui ne comportent pas d’articles signés de son nom. Même souffrant il pensait toujours aux sujets qu’il aimerait publier et se battait avec sa vieille machine à écrire qui accusait la fatigue de sa persistance. La plupart de ces contributions, concernent le Cap-Vert et le Brésil, dont la caractéristique métisse de ces formations sociales et de leur expression culturelle a connu en Alfredo Margarido un de ses principaux analystes. C’est ce que nous avons voulu signaler avec l’élaboration du numéro 24 , de Latitudes consacré à son œuvre, sous l’intitulé : « Alfredo Margarido, un parcours à contre-courant ». Ajoutons que lui-même a gardé à ce propos la distance la plus réservée, même vis-à-vis de l’élaboration de son immense bibliographie que l’on a à peine commencée à établir.
L’autre branche de ses contributions à Latitudes concerne la présence des Portugais en France. Dans l’article Éloge du Bidonville, paru dans le nº 5, A. Margarido présente un résumé d’une de ses analyses les plus originales concernant le phénomène migratoire. Il se distingue d’ailleurs comme étant un des rares intellectuels Portugais exilés à se pencher sur le devenir de cette population issue le plus souvent de couches sociales populaires, amenées à exercer à l’étranger des activités manuelles peu qualifiées. À l’inverse de la plupart des diplômés portugais, A. Margarido ne négligeait pas les milieux populaires, ni leur rôle dans le dynamisme social, restant fidèle en cela à son engagement de la période anti-salazariste. D’ailleurs, à contre-courant des sociologues portugais, il pointait d’autres rôles accomplis par les migrants portugais dans la rapide évolution sociale du pays après le 25 avril, au niveau de l’habitat, des mœurs, de l’introduction de nouvelles technologies, etc. qu’il n’a pas eu le temps d’élaborer.
Ses écrits publiés dans Latitudes resteront parmi les plus riches édités dans les pages de la revue et nous savons que, tant sous la forme papier qu’en ligne, à travers l’internet, ils accomplissent depuis un certain temps leur fonction de communication sans limite dans le temps, dépassant notre propre condition existentielle.
Alors, devant l’incommensurable perte d’un de nos plus illustres compagnons, reste à l’équipe de Latitudes le réconfort d’avoir contribué à rendre la pensée et le nom d’Alfredo Margarido immortels.
Novembre 2010
Daniel Lacerda
directeur de
« Latitudes-Cahiers Lusophones »
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